Psychologie sociale
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Psychologie sociale
Force est de reconnaître que, malheureusement, la psychologie sociale reste assez discrète. Joule (2004) va jusqu’à considérer qu’il s’agit d’une « discipline scientifique que l’on préfère ignorer ». Selon lui, les raisons seraient intrinsèques à la psychologie sociale : « Elle traite de questions pour lesquelles les gens […] ont des réponses toutes prêtes, réponses qu’ils ont d’autant moins envie de questionner qu’elles fondent un certain consensus social » (ibid., p. 441). Cette discrétion est d’autant plus paradoxale que l’activité éditoriale en psychologie sociale est relativement importante au regard de la situation dans le domaine des sciences humaines et sociales et que la production scientifique ne cesse d’augmenter.
Ce premier chapitre va tenter de poser les bases de l’histoire de cette discipline. Nous présenterons ensuite un certain nombre de définitions avant d’aborder le regard propre que pose la psychologie sociale sur le monde. Les chapitres qui suivent présenteront les grandes thématiques d’étude.
Introduction
1. Quelques éléments de périodisation
3Il est courant de faire remonter les premières pensées ou réflexions psychosociales aux philosophes grecs, Platon en tête, ou arabes (Pétard, Kalampalikis et Delouvée, 2001). Les psychologues sociaux présentent souvent la fin du xixe siècle comme le début réel de la psychologie sociale. 1898 est alors érigée en date fondatrice. Cette date correspond, d’une part, à la publication par Tarde de ses Études de psychologie sociale, cf. et d’autre part à l’une des premières recherches expérimentales réalisées par Norman Triplett et souvent qualifiée comme la première expérience en psychologie sociale : il souhaitait mettre en évidence l’influence du groupe sur les performances individuelles (chapitre 2 pour une présentation de cette recherche sur la facilitation sociale).
4L’expression « psychologie sociale » serait apparue dès 1864 en Italie dans l’intitulé d’une conférence de Carlo Cattaneo intitulée « L’antithèse comme méthode en psychologie sociale » (Doise, 1983 ; 1996). En 1875, une œuvre posthume de Philarète Chasles, intitulée La Psychologie sociale des nouveaux peuples, est publiée à Paris. Après l’Italie et la France, c’est en Allemagne qu’apparaît en 1886 l’expression « psychologie sociale », sous la plume d’Alfred Vierkandt (Di Giacomo, 1997). La psychologie sociale naissante recouvre encore bien des réalités et des contenus différents : un essai aux contours antisémites écrit par Fore-Fauré (Face aux Juifs ! Essai de psychologie sociale contemporaine, 1891), un livre publié par un abbé (De l’utilité temporelle de la religion, une page de psychologie sociale ; L. Pieraccini, 1894) ou encore les deux études de psychologie sociale d’Augustin Hamon portant sur le militaire professionnel (1893) et sur l’anarchiste-socialiste (1895). Quelques années plus tard, Gabriel Tarde (1898) publie ses Études de psychologie sociale alors que Norman Triplett (1897/ 1898) réalise une des premières recherches expérimentales que l’on pourrait qualifier de psychosociale. La même année, Gustav Ratzenhofer rédige un chapitre intitulé « Sozialpsychologie » dans Connaissance sociologique (1898).
5À leur manière, Édouard Claparède et Alfred Binet, avec leurs études sur le témoignage et sur la suggestibilité, contribuent à la naissance de la psychologie sociale. Ce dernier, par ailleurs, plaide quelques années avant sa mort pour la psychologie sociale qu’il est « indispensable et urgent de développer » autant pour des raisons scientifiques que politiques (Binet, 1909). À l’initiative de Théodule Ribot, le quatrième congrès international de psychologie (20-26 août 1900, Paris) confie à Gabriel Tarde la présidence d’une des trois nouvelles sections créées, intitulée « Psychologie sociale et criminelle ». C’est dans cette section que Franz Eulenburg justifie la création « d’une branche particulière de la recherche : la psychologie sociale » qui trouverait sa place entre la psychologie des peuples et la psychologie des foules. Alfred de Tarde – un des fils de Gabriel Tarde – fonde à Paris quelques années plus tard avec plusieurs personnes la Revue de psychologie sociale (1907). Cette même année Wilhelm Wundt emploie le terme de psychologie sociale pour désigner sa Völkerpsychologie, dont il écrira dix volumes entre 1900 et 1920.
6Cet ensemble de recherches fait alors naître le besoin de manuels d’introduction à la nouvelle discipline. Les deux premiers apparaissent en 1908 aux États-Unis, écrits l’un par un psychologue (McDougall, 1908) et l’autre par un sociologue (Ross, 1908), laissant déjà paraître la distinction entre une psychologie sociale psychologique et une psychologie sociale sociologique. Signalons, néanmoins que dès 1902 l’Italien Paolo Orano écrit Psicologia Sociale. Il consacre dans ce livre un chapitre pour critiquer la pensée et la psychologie sociale de Gabriel Tarde mais il est encore difficile de parler de manuel proprement dit. Aux États-Unis, William I. Thomas et Florian Znaniecki (1918-1920), en essayant de faire le lien entre ces deux psychologies, introduisent le concept d’attitudes.
7Cette psychologie sociale naissante recouvre encore bien des réalités et des contenus différents. Le livre de Chasles (1875), par exemple, n’est qu’un essai de linguistique comparé et n’a strictement rien à voir avec ce que l’on entend aujourd’hui par psychologie sociale. Toutes ces informations amènent à penser qu’il est illusoire de vouloir faire l’histoire de la psychologie sociale en France ou même en Europe avant le début du xxe siècle. Il conviendrait plutôt d’entreprendre une histoire de la question du social.
2. La psychologie des foules
8La fin de la monarchie absolue de droit divin, en France, permet de pouvoir commencer à penser (autrement) les rapports sociaux et le fonctionnement même de la société. L’exacerbation des nationalismes, la création des syndicats et des mouvements ouvriers, les profondes transformations sociologiques et politiques en Europe au cours du xixe siècle (début de la colonisation, tranformation des modes de production, apparitions de nouvelles catégories sociales, etc.) vont produire des types de questionnements radicalement neufs sur les rapports sociaux auxquels les domaines de connaissance de l’époque (économique, juridique ou religieux) étaient incapables de répondre et vont obliger les intellectuels à se poser de nouvelles questions. Plus que la psychologie sociale en tant que telle, c’est donc un intérêt et une interrogation pour un nouveau champ qui émerge à la fin du xixe siècle autour de la question du social.
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